HIS STORY

15 sept. 2015

Lac de Morgins en Suisse, 1350m
La fin d’une histoire et le commencement d’une autre

Cette histoire n’est pas le simple fruit de mon imagination. Moi qui me suis trouvée longtemps perdue après la mort d’un être cher, je vais maintenant vous conter son histoire qui en vérité a eu une fin désastreuse, mais qui, ici, aura un goût moins amer.


Je suis dans ce couloir sombre, aux odeurs stériles, je marche lentement, je ne suis pas pressé. Et même si je l’étais il ne me serait pas donné de faire autrement, car à mon âge on a le corps plutôt rouillé. Personne ne me voit mais moi je vois le monde. Pendant un instant je me demande même si je suis mort, peut-être que je rêve. Je marche le long du couloir au bout duquel m’apparaît une forêt piégée par la neige et ses cristaux d’argent. Arrivé à l’orée du bois, j’admire le ciel blanc et les arbres gris. Le silence règne, jusqu’à ce que j’entende un petit son, c’est une rivière, elle n’est pas tout à fait gelée, mais l’eau cogne ses rebords et tinte avec le peu de glace qui gît. Aujourd’hui j’ai la chance d’être à l’air libre. Il neige dans cette forêt d’une blancheur délicieuse. Ma seule défense contre le froid est un manteau printanier bleu marine. Mais je n’ai pas froid. Je respire lentement cette douce odeur glaciale. La vue de cette forêt interminable me procure un état d’inquiétude, un frisson parcourt mon corps. Soudainement je me retourne pour mieux saisir ces rires familiers. J’aperçois une petite fille qui m’observe de derrière un arbre. Je m’approche doucement, souris. Elle me répond et vient me prendre la main. Elle ne dit rien mais elle tire pour que je la suive. Je la connais bien, cette petite Mimi. Je sens cette chaleur dans le cœur, celle qui transperce comme un million de flèches le corps des hommes. Oh, comme je suis heureux de la suivre. Nous arrivons au bord du ruisseau. Elle s’agenouille, trempe ses mains frêles dans l’onde et garde au creux de celles- ci cette eau qu’elle tient à ce que je boive, ce que je fais. Elle se fait grande sur ses pointes de pieds, vient m’embrasser puis repart dans les bois en trottinant, pour disparaître parmi les géants de la forêt. Je suis assis là, et je la regarde s’éloigner. Je la laisse faire. La nuit est en train de tomber. Elle sera bientôt en sécurité auprès de ceux que j’aime. Moi je suis assis là, au bord de l’eau et j’ai froid. Je me couche sur cette mousse humide et m’endors paisiblement entouré par l’odeur cristalline de cet eldorado.

À mon réveil, une atmosphère sombre domine, je suis seul mais le silence n’est pas complet. Suivant le léger vent glacial qui tranche chaque élément de la forêt, les animaux de la nuit chantent leurs complaintes nocturnes. Effrayé par ces sons antiques, je me lève péniblement et marche, les bras croisés sur ma poitrine pour tenter de conserver un peu de chaleur. Nous sommes le vingt-cinq décembre au petit matin, et les présents de l’Aurore font briller la forêt. Je marche entres les arbres, je cherche une issue. Je suis prisonnier de ces limbes et j’ai besoin d’une clef. Je fais quelques pas encore dans cette nature endormie et tout à coup je remarque deux chemins qui s’opposent à moi. Le premier semble paisible. On voit qu’il n’est pas d’origine naturelle. L’homme l’a provoqué. Il l’a créé pour pouvoir l’emprunter, encore et encore. Il a détourné la nature pour se faire une route à suivre. Le second n’est en réalité qu’un petit sentier assez discret. Je tourne ma tête vers l’un, puis vers l’autre, il faut bien que je choisisse. J’opte enfin pour le plus caché. Marchant prudemment, et n’ayant pas d’autre choix que de regarder au sol pour voir où je mets mes pieds, j’ai la chance de remarquer sur le bas-côté, un chapeau melon tout noir. Je m’approche et me baisse difficilement pour le prendre. Il est en assez bon état quand on imagine de temps qu’il a pu passer ici. Je le frotte légèrement de mes mains gelées et le pose sur ma tête dégarnie. Muni de ce beau couvre-chef et bercé par les feuilles sauvages qui voltigent au gré du vent, je poursuis ma route sur ce chemin tortueux. J’entends à nouveaux les voix familières, je sens qu’elles viennent de loin. Ce sont les fantômes du présent qui font qu’à jamais je resterai sur terre. Même si je sais que je vais bientôt partir, je resterai piégé par dans les filets datant de la belle époque. Ces chanteurs qui faisaient danser la foule jusqu’à l’aube, emportant toute peine dans leurs rythmes endiablés. Ces artistes incompris qui pleurent de ne pas vivre dans le bon temps, qui comme chacun se plaignent de ne pas être nés à la bonne époque. J’aimerais rejoindre ceux que j’aime. Alors j’essaie d’accélérer le pas en poursuivant ma route. Ma respiration haletante commence à prendre le dessus dans le silence des bois et je finis par me fatiguer. Mes yeux sont humides, à cause du froid, peut-être mon anxiété me joue-t-elle des tours ? Je sais que c’est peine perdue. J’ai déjà eu mon espoir. Il m’a montré comment garder la tête haute.

Perché sur mes longues jambes je vois un terrain sans limite plein de différentes nuances lumineuses. La plus claire vient de la rivière qui coule encore tout près de moi. Je l’observe, le regard vide et pense à ceux qui m’aiment. Savent-ils que je suis en train de me perdre dans cette forêt ? Je ferme les yeux un instant, je revois le sourire de la petite Mimi et cela me fait chaud au cœur. Je me retourne vers le sentier, prêt à poursuivre, et soudain devant moi, sur le sol, se trouve une vieille canne en bois noir, avec un manche en cuir. Je la ramasse, et remarque sur le côté, des initiales : « C.C ». D’abord un vieux chapeau melon, ensuite une canne. Décidément cette forêt cache bien des mystères ! Mais cette canne m’est au moins assez utile. Traverser une forêt en plein hiver à mon âge, c’est une véritable aventure ! Et pouvoir prendre appui sur quelque chose de solide est un cadeau. La forêt commence à s’éclairer, je vois non loin ce qui ressemble à une issue. J’arrive au pied d’une colline, il n’y a plus d’arbre. On voit bien clair. Je décide de faire l’ascension pour pouvoir admirer la vue. En montant je peux apprécier le décor, cette vaste forêt ne m’a pas encore montré tous ces secrets. Les mélancolies cachées sont parfois faites pour le rester. Arrivé en haut je me sens libre. Et la liberté, j’ai tout donné pour qu’on me l’accorde. Je suis enfin là. Le vent tiède me caresse gentiment le visage. D’ici je peux voir la rivière serpenter tout au long du bois. C’est un paysage enchanteur, qui me procure une sensation d’accomplissement final, la sensation d’avoir terminé tout ce que j’avais commencé.

Tout à coup j’entends un son strident. Une alarme continue qui me rappelle à l’ordre. Je ferme les yeux comme pour arrêter le bruit. Quelques instants plus tard je les rouvre en serrant ma canne des deux mains. Ce que je vois est indescriptible, une vision associant inextricablement les images des dernières heures que j’ai passées dans la forêt. Quand tout se démêle enfin, je suis dans une chambre d’hôpital. Je n’y suis pas en tant que patient, ni en tant que visiteur, mais je suis au-dessus de tout. Personne ne me voit mais je vois le monde. Et je me vois moi, allongé sur un lit. Je suis pâle, immobile. Les machines à mes côtés semblent éteintes. Le silence règne dans la pièce. Je n’entends même plus battre mon cœur fragile... Une larme coule sur ma joue. Je viens de mourir, après avoir combattu la maladie, j’ai choisi le mauvais chemin, ou le bon. Je ne regrette rien. Je ferai en sorte que ma mort soit aussi juste que ma vie. Je sais que je protègerai ceux que j’aime et que j’aiderai ceux qui en auront besoin.
Nous sommes le vingt-cinq décembre dans l’après-midi, il y a vingt-six ans qu’un phénomène est décédé. Charlie Chaplin a quitté ce monde. Il a pris le chemin qui lui était favorable. Aujourd’hui j’ai décidé de prendre le même que lui. Jamais je n’oublierai ceux que j’ai laissés ici, un jour de Noël. Je n’ai plus qu’à attendre... Mais je ne veux pas rester les bras croisés. Être mort ça a ses avantages, je peux voir ce que je souhaite, qui je souhaite, à n’importe quel moment. Je veux voir ma Mimi. Elle a le visage rouge, et sa respiration ne suit plus les rivières qui coulent sous ses yeux. Elle lace ses chaussures pour partir dans cette saison silencieuse. Elle court, elle ne sait pas où elle va mais elle voudrait crier. Elle aimerait me trouver. Elle me cherche peut-être. Je suis parti, sans doute, mais jamais je ne quitterai son cœur.
Le temps a passé, le temps passera toujours, mais à jamais Noël restera souvenir de désespoir. Jamais il ne reviendra, mais un jour on le rejoindra. Ce jour-là, sera le début d’une nouvelle vie au paradis, près de lui, sans soucis.
Pour toi, Grand- Papa.
Ta Mimi, pour toujours.



La colère est la pire des tristesse. Christmas : IX



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